EDITORIAL AVRIL 2005

« Steak frites » contre « patates à l’eau »

vendredi 1er avril 2005 à 00:00, par Charles-Henry Sadien

En défendant « le pouvoir d’achat », les syndicats et la gauche mènent, sans s’en rendre compte, une politique de droite et adhèrent implicitement aux principes libéraux qui poussent la population à toujours plus d’individualisme au détriment de la solidarité. Enfin bon, moi, c’est ce que j’en pense...

En menant une politique visant à maintenir le pouvoir d’achat des ménages, le gouvernement, poussé en cela par le parti socialiste et le parti communiste, a fait clairement le choix de soutenir la « France moyenne », celle qui a encore les moyens de payer son loyer et de manger convenablement, mais qui aimerait pouvoir aussi s’offrir quelques soirées au cinéma et quelques places de concert pour le Printemps de Bourges sans pour autant être obligée d’écourter ses vacances d’été et d’annuler celles d’hiver. La gauche presse donc le gouvernement d’appliquer une politique en faveur de la petite bourgeoisie, s’éloignant encore un peu plus des classes les plus défavorisées. La leçon des dernières présidentielle n’a, semble-t-il, pas été retenue.

Mais, la petite bourgeoisie est-elle à plaindre ? Il y a tout d’abord une forme d’indécence à la voir descendre massivement dans la rue pour mendier les miettes de la croissance alors que les entreprises et les actionnaires se partagent des bénéfices gargantuesques. Il y a aussi une autre indécence : celle que ces miettes soient redistribuées à ceux qui - quoi qu’ils en disent - ont toujours de quoi manger. Ils veulent « maintenir leur pouvoir d’achat ». Un comportement typique de l’individualisme de notre société.

C’est oublier - ou faire semblant d’oublier - qu’il y a dans ce pays des millions de gens dans une situation précaire, qui sont au régime « patates à l’eau ». Alors, lorsque j’en vois qui descendent dans la rue pour défendre leur « steak frites » cela est loin de m’émouvoir même si je suis heureux de constater qu’il existe encore une capacité de mobilisation dans ce pays de chiens mous.

Quelques soient les gouvernements, la redistribution des richesses s’effectue du haut vers le bas. Le problème, c’est que « le haut » prend une si grosse part du gâteau qu’il ne reste qu’un petit bout de chique pour la moyenne et petite bourgeoisie et carrément plus rien pour ceux qui sont « en bas » et qui n’ont plus qu’à lécher l’assiette vide. Tant que l’UMP, le PS et le PCF feront croire à la petite bourgeoisie qu’elle fait partie de la « France d’en bas », il ne sera pas possible de mener une politique efficace en matière de lutte contre la pauvreté. Il faudrait inverser la tendance et raisonner en terme logique : lorsque l’on a de l’argent en trop, on donne d’abord à ceux qui en ont le plus besoin, et s’il reste un peu de flouze, on le redistribue aux plus fortunés pour qu’ils se fassent une bonne teuf. Après tout, cela se passe ainsi dans toutes les familles du monde : on utilise son argent d’abord pour les dépenses courantes et seulement ensuite pour les dépenses secondaires puis éventuellement superflues.

Cependant, même les plus ardents communistes ne sont plus capables d’être logiques et préfèrent supprimer sur leurs affiches le « R » de révolution. Le but n’est plus de revenir à des principes évidents et humanistes, mais de tenter d’infléchir - de façon illusoire - l’illogisme et l’individualisme du monde libéral qui assoie la réussite de quelques uns sur l’échec de millions d’autres. Cette politique « évolutionniste » est un aveu d’échec, un aveu de faiblesse mais aussi une preuve d’indigence intellectuelle.

Et cela se répercute indubitablement au niveau de notre politique locale. Il n’y a pas d’opposition municipale. La gauche s’exprime timidement, se montre toujours sur la défensive. Et lorsque la majorité municipale ouvre la bouche pour ne rien dire, c’est toute la gauche qui bafouille, qui devient rouge de confusion et qui chie finalement dans son froc. Lors du dernier Conseil Municipal de Bourges, la gauche s’est contentée de s’abstenir ou de voter dans le sens de l’UMP sur la plupart des votes. A force de ne pas savoir sur quel pied danser, l’opposition municipale en devient pathétique. Certes, la volonté de ne pas faire « d’opposition systématique est louable ». Mais si la gauche accorde finalement son crédit aux décisions de l’UMP, le quidam pourra se dire que tout va bien puisque l’opposition n’est pas en désaccord avec la majorité. Et qu’il n’y a donc aucune raison de voter à gauche pour les prochaines municipales. Ce qui est essentiellement vrai à ce jour.

Il y avait pourtant matière à de sérieux désaccords. Que le Conseil Municipal vote à l’unanimité (communistes compris) en faveur de la convention entre la ville et la SARL Printemps de Bourges, est par exemple, un scandale. Entre « Bourges en scène », la société « Coulisses » et la « SARL Printemps de Bourges », on n’y comprend plus grand-chose, à part que des millions d’euros d’argent public sont redistribués à des sociétés privées qui se sont accaparées des salles de spectacles construites elles aussi avec de l’argent public et dont les bénéfices seront privés ! Il fallait - évidemment - voter en toute logique, « non » ! Mais en votant dans ce sens, l’opposition de gauche prenait le risque d’être accusée par la majorité municipale et par la frange la plus naïve et mal informée de la population berruyère, d’être « contre le Printemps de Bourges ». Une argumentation pourtant ridicule et particulièrement aisée à contrer. Mais, refusant toute polémique et tout risque de controverse, l’opposition municipale a préféré ne pas se faire remarquer pour aller dans le sens commun et voter « oui » ! Cette opposition me fait malheureusement penser à la caricature des « neuh neuh » de droite dans les guignols de l’info, il y a quelques années.

Idem pour « l’affaire du Bourges Football Olympique Club ». 90.000 euros redistribués aux copains du maire de Bourges par intérim Roland Chamiot qui a voulu s’offrir sa grande équipe de football de Division d’Honneur Régionale (7ème niveau dans la hiérarchie des instances du football). Eh bien la gauche ne savait pas trop quoi faire. Elle s’est abstenue. Est-ce qu’il n’aurait pas été plus judicieux de répartir les joueurs du défunt FCB dans les autres clubs de la ville comme cela s’est fait au niveau régional pour ceux de l’équipe première, plutôt de reconstruire à la hâte et pour un coût pharamineux une nouvelle équipe de foot par ailleurs totalement discréditée et boycottée par les anciens spectateurs du FC. Bourges ? Et de donner un coup de pouce la saison suivante au club de Asnières-les-Bourges afin que Bourges soit représentée rapidement au niveau national dans le sport numéro un des Français ? Au lieu de cela, le Bourges FOC (ne riez pas !) va végéter pendant au moins trois saisons au niveau régional en raison des sanctions de la Fédération Française de Football et de la Ligue du Centre de Football. Bah, la gauche, quelque peu ignare sur le sujet a préféré jouer la politique du ni oui ni non à la sauce Bayrou.

Et c’est ainsi pour tous les votes soumis au Conseil Municipal. Il y avait pourtant de bonnes raisons pour voter contre les trois-quarts des propositions de la majorité municipale sans pour autant prêter le flanc aux accusations d’opposition systématique ou de « politique politicienne ». Mais pour voter non, encore faut-il étudier les dossiers, débattre et développer une argumentation cohérente. Et cela semble trop difficile pour notre pauvre, très pauvre, opposition municipale. Une « gauche steak frites » au service de la petite et moyenne bourgeoisie qui ferait bien, dés maintenant, de bouffer de la vache enragée si elle ne veut pas se retrouver au régime « patates à l’eau » aux prochaines élections municipales.

commentaires
> « Steak frites » contre « patates à l’eau » - 8 avril 2005 à 15:29

La revendication du "pouvoir d’achat" m’a moi aussi posé problème. Mais pas tout à fait dans les mêmes termes que vous. (Et je ne crois pas un instant que les syndicats et la gauche ne se rendent pas compte de ce qu’ils font ! Quand même... ils ne sont pas nés de la dernière pluie capitaliste !)

Revendiquer le "pouvoir d’achat" c’est éviter d’appeler les choses par leurs noms et de révéler les inégalités criantes de notre société :
 augmentation des salaires :
.lesquels ? comme vous je partage l’idée que la petite et moyenne bourgeoisie ne s’en sort pas si mal dans une politique de droite, et c’est bien pour ça, d’ailleurs, que les réactions syndicales et poliques de gauche sont si molles et sans avenir, les syndicats et partis étant principalement dirigés par des représentants de cette petite et moyenne bourgeoisie.
Revendiquer l’augmentation des petits salaires ( que j’espère vous ne situez pas dans la petite bourgeoisie, car un petit salaire paye le loyer, l’électricité, le chauffage,... les petits objets necessaires à la vie quotidienne et rien de plus, c’est une qualité de vie minimale ) rapellerait cette idée insoutenable à la gauche et à la télévision l’existence de classes sociales dont : les petits salaires, les petits indemnisés chômeurs, les RMistes, les ASFistes, les sans rien, les SDF, les SDF salariés..., les petits précaires, les ouvriers exploités par des boites subventionnées par l’Etat... C’est à dire l’échec total de l’idéal socialiste.
Alors dans toute leur hypocrisie, ils cherchent à rassembler effectivement, surtout la petite et moyenne bourgeoisie qui manifeste le samedi, refuse de faire grève pour ne pas "perdre une journée", et qui se prétend solidaire, bref la crème de la réussite socialiste ou sociale démocrate.

Revendiquer le "pouvoir d’acha"t, qui n’est pas une demande d’augmentation de salaire, est je suppose , un calcul bien fin, un accord droite-gauche, qui a ainsi permis à la droite d’annoncer une augmentation de la participation aux bénéfices ou au PIB. Bientôt, les syndicats n’appeleront plus à l’action, mais à manifester pour l’augmentation des actions !

"pouvoir d’achat".... pouvoir : quel mot. Ah ! le pouvoir ! Quel panacée ! et le pouvoir d’acheter ! Le nirvana ! C’est la revendication publicitaire de notre social Leclerc qui défend notre pouvoir d’achat... oui oui, je vous assure ils l’ont écrit sur leurs étiquettes de la dinde sous célophane. Les syndicats, le parti socialiste, les cocos, ne vont plus piocher leur slogans chez Marx mais chez Leclerc.

Cette revendication est à gerber, veut faire oublier que les petites classes ont un cerveau et qu’ils l’utilisent à autre chose qu’à la recherche de la consommation (enfin pas tous, je ne veux pas faire de généralités ) et que peut-être même ils se rendent comptent qu’on les prend vraiment pour des cons par tous les bords.

Ah ! Et j’oubliais ! un syndicat, un parti qui défendrait les petits, les sans, serait accusé de populisme et de favoriser le terrain du Front National...
Alors chuuuut ! Mentons, cachons, "rosifions" la merde, sortons nos banderoles
" je défends MON pouvoir d’achat" ça n’engage à rien pour la majorité de la population , c’est sans risque aucun et ça coutera pas grand chose. Meme pas un jour de grève !

Et le pire, c’est que les syndicats se vantent d’avoir gagné et de faire plier le gouvernement...et que même que Raffarin ben il aurait écouté cette fois-ci ! Pardi !

Ah si la petite, moyenne, grosse, bourgeoisie n’était pas là.... il serait impossible d’augmenter le prix des loisirs et de vendre bio. Et d’avoir une idée du bonheur parfait.

Les petits ne rapportent rien, on s’en fout ! La rue, c’est pas pour eux. Leur revendication ont s’en fout, qu’ils restent dans leur "chichesse" ou dans leur pauvreté. Ils sentent trop l’échec, l’allocations, le restau du Coeur, la fatigue des 3/8, le Babou...
A eux tous, ils forment la majorité de la population, raison de plus pour ne pas leur donner la parole.


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