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Devoir de victoire ?

dimanche 15 octobre 2006 à 22:14, par bombix

L’utilisation de la notion de "devoir de victoire" dans l’argumentaire de Ségolène Royal traduit une inversion des priorités de l’action politique. Les programmes servent désormais les candidats et non l’inverse. Un tel retournement, qui place le charisme des personnes avant leurs idées, est signe d’une démocratie en mauvais état.

Récemment, on a vu fleurir une expression dans la bouche de Ségolène Royal et de ses partisans : il est question d’un soi-disant "devoir de victoire". En résumé, le discours est celui-ci : la gauche peut gagner la présidentielle, si elle suit les inclinations des gens, perceptibles en particulier dans les sondages. L’opinion désigne Ségolène Royal comme candidate [1]. Il y aurait donc les candidats « naturels » du PS (= les candidats de l’appareil), Fabius et DSK, et puis Ségolène, sorte d’outsider portée par une opinion publique séduite d’une part par un changement de style et qui désire d’autre part un renouvellement des têtes.

Selon ce raisonnement, ce serait non seulement une erreur, mais une faute si on manquait la présidentielle pour une querelle de personnes. Puisque Ségolène Royal est la mieux placée, nous (c’est à dire l’électorat de gauche) aurions le devoir de la soutenir pour parvenir à la victoire.
Singulier retournement : auparavant, on choisissait un candidat en fonction de son programme. C’est sur le terrain des idées que le combat se livrait. Maintenant, on doit choisir un programme en fonction d’un candidat ou d’une candidate, celui ou celle qui semble le/la mieux à même de remporter la victoire [2] .
L’emploi de la catégorie de devoir, qui relève du vocabulaire moral, n’est pas sans poser question également. On voit poindre derrière cette expression un appel à la responsabilité, en fait une manipulation équivoque du sentiment de culpabilité. Pourquoi, vous qui désirez la victoire de la gauche, ne faites vous pas tout ce qu’il faut, et en particulier, ne mettez vous pas de côté vos querelles pour permettre le succès des forces de progrès ?

C’est le séisme du 21 avril 2002 qui a ouvert la possibilité de se placer sur ce registre. On a alors accusé une partie de la gauche d’avoir dispersé ses voix sur les candidats de la gauche "alter", permettant ainsi au chef de l’extrême droite d’être porté au second tour de la présidentielle.

Mais, là encore, c’est formuler le problème à l’envers. Si le discours et la politique de Jospin avaient été en accord avec les aspirations historiques de la gauche française [3] , si l’ancien premier ministre avait été un peu moins arrogant, un peu moins aveugle sur la détresse réelle d’un grand nombre de nos concitoyens, et donc un peu moins certain de son bon droit (il aspirait à la magistrature suprême comme un héritier se présente chez le notaire), la mésaventure historique du 21 avril n’aurait peut-être pas eu lieu. Au « devoir de victoire » il faut donc répondre par un « devoir de mémoire » et rappeler les vraies responsabilités dans la défaite de 2002.

Remettons les choses à leur place, les candidats au service des programmes et non pas l’inverse. Il n’y a pas à se laisser intimider par les slogans faciles. La seule victoire qui comptera , c’est la victoire qui permettra une rupture avec l’aventure néolibérale engagée par Chirac-Raffarin-Villepin. Il n’y a pas à donner un chèque en blanc à une candidate, qui, ne représentant pour l’instant qu’elle-même, ne donne aucune assurance quant à sa volonté de rompre en profondeur avec cette politique. Les slogans moralisateurs n’y changeront rien.

[1On ne s’interrogera pas ici, mais on pourrait le faire, sur la construction de la dite opinion. Les media n’ont pas joué un rôle négligeable dans l’élection de Ségolène Royal dans le coeur du public.

[2À cet égard, et bien que mon propos vise le débat actuel au sein du P.S. et plus largement dans l’électorat de gauche, on ne peut manquer d’être frappé par la similitude des situations de Sarkozy et de Royal. Pour l’un comme pour l’autre, la rupture politique s’incarne dans une personne qui la porte, le charisme vient avant les idées. Cette inversion a l’avantage, pour les interessés, de leur permettre d’exprimer des contradictions sans trop de honte : chez Sarkozy, la conjugaison du libéralisme et de l’autoritarisme, du nationalisme et du communautarisme, en bref des valeurs de la droite traditionnelle et celles du modernisme ; chez Royal l’héritage émancipateur du socialisme et le familialisme (familles, soyez rassurées, on ne vous hait plus), la posture sociale et le goût de l’ordre.

[3Il se trouve que l’actualité locale remet en ce moment au premier plan l’affaire Michelin, et la reculade mémorable de Jospin en 1999. Dossier significatif et quasi emblématique des positions du P.S. face au nouveau capitalisme mondialisé.

commentaires
Devoir de victoire ? - Jean Ligeour - 19 novembre 2006 à 10:48

On peut voir la victoire de Ségolène Royal selon un angle sociologique, comme une victoire des médias qui ne devrait surpendre personne dans cette société du spectacle si bien dénoncée il y a déjà plus de 30 ans par Guy Debord, ou selon un angle politique, comme le problème du verre à moitié vide ou à moitié plein.

bonnet de droite ou droite du bonnet ?

Sous l’angle de la politique, La désignation de Ségolène peut être considérée comme un choix pragmatique au prix d’une droitisation du PS, ou bien comme une gauchisation de la droite préfigurée par cette OPA réussie à 20 euros l’action.

Dans un cas comme dans l’autre, il semble que désormais les choses ne pourront plus être comme avant.

La question en effet, n’est plus de savoir qui peut s’en réjouir, qui doit le regretter, mais de dire si le moment est venu d’entreprendre et réussir, au plan national, une recomposition radicale du paysage politique. Il y va de notre intérêts à tous, nous les français.


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Devoir de victoire ? - Mister K - 15 octobre 2006 à 23:36

La dérive de la personnalisation de l’élection présidentielle n’est pas spécialement nouvelle. Mais plus l’impact de la télévision et des sondages se développe et plus le phénomène s’amplifie. Le débat politique s’appauvris. C’est une triste constante. Heureusement, via le web, on peut espérer élever le débat.

Alors, le devoir de victoire... cette réthorique est effectivement creuse. Je note que Jean-Pierre Raffarin l’a employé également pour la droite...et en matière de formules creuses, c’est un expert. Ce devoir de victoire est compris comme la victoire d’un camp (droite ou gauche) voir d’un parti politique (UMP ou PS). Or, si il doit y avoir une victoire, ce doit être celle de la France. Et cette victoire ne pourra se juger au soir du second tour de la présidentielle de 2007, mais bien à la veille du premier tour des élections 2012. Une politique, ça donne des résultats, si ils ne sont pas positifs, c’est le pays entier qui est perdant, point.

Alors évidemment, on peut tenter d’éviter le pire (le camp adverse) mais pour quoi faire ? Les divers candidat ont encore 7 mois pour y répondre. Le candidat victorieux n’aura qu’un devoir pendant 5 ans : ne pas décevoir...


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