Est-ce que le rôle d’un militant consiste à suivre son leader sans broncher ? Est-ce qu’un militant est tout juste bon à faire la claque, faire ce qu’on lui demande et se taire ? Si l’on en croit l’attitude de Jean-Luc Mélenchon face à un militant communiste [1], on serait tenté de penser que oui.
Le plus choquant est certainement la phrase suivante : « Si tu es un militant, tu es discipliné ! ». Mélenchon finissant par un « Dégage ! » qui rappelle forcément Nicolas Sarkozy par le mépris...
Pour le coup, Mélenchon utilisant le registre populaire aurait certainement mérité un bon bourre-pif pour lui montrer ce qu’est une attitude vraiment populaire face au mépris d’une élite.
La vidéo de "l’échange" entre Mélenchon et le militant communiste est en ligne.
En tout cas, Mélenchon a de quoi être satisfait : les militants communistes sont réellement disciplinés. Après la diffusion de cet incident, on n’a pas eu, semble-t-il, à Bourges ou dans le Cher, de militants communistes ou du Front de Gauche criant au scandale par rapport au comportement de Mélenchon ou au contraire criant à la manipulation. Silence, on étouffe.
Je ne suis quant à moi pas du tout surpris : d’une part parce que s’ils ont qq chose à dire (à supposer qu’ils aient qq chose à dire et ne considèrent pas ça comme un non événement), ce n’est sur l’Agitateur qu’ils viendront le dire, et peut-être même pas sous une forme publique quelconque ; d’autre part parce que tirer sur Mélenchon en ce moment, c’est pour eux se tirer une balle dans le pied. Le ressentiment est grand chez bcp de militants, et le pari de la direction ne se révélera payant que si Mélenchon fait un score significatif, qui accorderait un répit à l’inexorable désescalade de cette organisation politique en régression constante dans les urnes depuis plusieurs dizaines d’années. Or les militants, même ceux qui désapprouvent la stratégie de la direction, n’ont aucun intérêt à ce qu’elle perde son pari. Les dés sont jetés, et il ne faut pas s’attendre à un débat de ce genre dans cette séquence.
En général, les militants politiques s’expriment moins sur l’Agitateur. Là, il y a quelques questions à se poser, en rapport avec la récupération d’internet et son instrumentalisation en outil de propagande, après une première période ou une grande liberté a pu s’épanouir, de façon confidentielle toutefois. Deux stratégies pour limiter cette liberté : la pollution informative (multiplication des blogs qui se recopient les uns les autres ; voir les flux de Bourges politique par exemple) et l’enterrement dans le silence de ceux qui s’expriment — en ne leur répondant pas par exemple. Les deux stratégies sont d’ailleurs complémentaires. On réduira d’autant plus au silence celui qui a un point de vue original et personnel qu’il sera noyé dans la masse de fausses infos ou de point de vue conformistes ou téléguidés. C’est la rançon de la liberté et et les failles du modèle égalitaire/horizontal sur le modèle hiérarchique/vertical. Faire se taire les gens en contrôlant les médias (modèle gaullien de maîtrise de l’AV) ou les faire parler en noyant leur parole dans le bruit (*) ou le gazouillement : pratiquement, le résultat est le même. D’autant que les médias "autorisés", cad qui ont conservé une certaine autorité et efficacité auprès de l’opinion (télés, radios, journaux), demeurent soigneusement sous contrôle. Les Zones d’Autonomie sont toujours Temporaires. Rien de nouveau sous le soleil.
(*)D’où l’absurdité de ces projets qui compilent automatiquement des masses d’information sans tri, sans choix, sans mise en perspective, et qui en augmentant sans cesse la quantité grace à des robots performants, espèrent produire magiquement de la qualité informative. Le plus cocasse, c’est quand une entreprise de ce genre annonce : « Maintenant que l’information est tellement abondante, nous n’avons pas tant besoin de nouvelles informations que d’une aide pour traiter celles qui sont déjà disponibles. » Aide ? Quelle aide peut bien procurer un robot qui crache automatiquement ses ressources ? Quel peut bien être l’utilité de ce genre d’amoncellement - d’autant que des outils personnels, comme les flux rss, existent déjà !
Si d’aucuns veulent connaitre la position du principal interessé, elle est ici, vers la fin du billet. Le reste du billet et le blog en général sont intéressants. Mais il faut reconnaitre que c’est plus dur à comprendre qu’un "reportage" de Canal Plus ;-)
ben voyons...JLM se défend, c’est normal, il se gausse d’Apathie, c’est logique (et la dessus, sur le coté insupportable du sieur Apathie je le rejoins) mais bon l’image est la, il renvois dans les cordes un militant qui lui n’est pas agressif.
Ouai, bon, pas super convaincant, mais il est "désolé", il va falloir s’en contenter et prendre ça comme un excuse...Il y a quand même un truc qui m’ennuie chez Mélenchon. Il veut que les médias le servent (il est quand même en train de faire le beau devant eux globalement), il se méfie malgré tout de ces médias comme de la peste...et à coté de ça, il leur chie dessus. En fait, les médias seraient-ils parfait si ils étaient à ses ordres, pour le servir ? C’est quand même globalement l’impression que ça donne...
Bon, Mélenchon ne doit pas être le seul politique à penser comme ça...mais lui le montre beaucoup.
Alors que je parcourais un site "photothèque du mouvement social", je me dis : " tiens, je vais aller voir le diaporama des photos de la rubrique Education “27 septembre 2011”". Et alors quand je regarde, je me dis " tiens, c’est drôle".
Eulalie : Tiens, c’est drôle ?...
Comme me diit un ami, y’en a au moins une que Mélenchon fait rire. Mais... ?!... Je ne comprends pas ?
Ben c’est à dire que pour un diaporama sur une manif education (celle d’avant-hier), le diaporama ne consiste qu’en une seule photo qui revient tout le temps : lui. Alors, je trouvais ça drôle. Ceci dit, le lien ne met pas directement sur le diaporama. Cliquez à droite en haut sur "diaporama" si vous aimez Mélenchon en fond d’ecran. Et si vous l’aimez pas, ça donne envie de dire "Dégage". (Je m’attendais plutôt, entre autres, à des photos sensationnelles de profs du privé exaltés par leur désaccord avec la politique d’éducation du gouvernement). Voilà. Et je vous assure que c’est dans la rubrique
" Education : 27 septembre. Mélenchon serait-il un mouvement social à lui tout seul ?
J"ai capiche ! OK, OK !... Effectivement, ça laisse dubitatif.
Bon. Alors, fallait-il ou non publier cette brève qui a perturbé les administrateurs de l’Agitateur ?
Ben oui. D’abord, elle relate un fait réel, et elle témoigne d’une réaction à chaud, par rapport à des images. C’est comme ça que fonctionne l’Agitateur depuis le début, et c’est très bien.
Quelques remarques maintenant :
– Si on fait la comparaison avec le fameux "Casse toi pov’ con" de Sarkozy, il faut remarquer que Sarko ne s’adressait pas à un militant UMP, mais à un contradicteur. Dans le 1er cas, il s’agit de la morgue d’un puissant vis à vis de la plèbe, dans le second, on est dans tout autre chose : une conception léniniste du militantisme. Le militant est un "militaire", et comme tel, doit obéir à ses chefs. Commentaire significatif d’Apathie sur son blog :
Cette conception disciplinaire du militantisme est datée. Elle fut l’apanage d’organisations de masse qui prétendaient faire la révolution, et le but même, renverser l’ordre établi, justifiait une obéissance aveugle de ceux qui prétendaient l’atteindre. Vieilles figures de la politique, vestiges de la pensée, dont le parti communiste français du siècle passé fut l’un des archétypes les plus aboutis, organisation humaine fondamentalement perverse qui prétendait libérer l’homme en l’asservissant à l’obéissance absolue d’un dogme et d’une pratique.
On pourra faire remarquer à Apathie que le camp d’en face dispose lui aussi de militants disciplinés. Et que s’il faut considérer le terrain politique comme un champ de bataille, il y aurait quelque hypocrisie à ne pas le mentionner. La question est : s’agit-il d’une vieille figure de la politique, ou de son éternelle figure — que la ruse des "communicants" réussirait presque à nous faire oublier...
– On n’a pas épuisé la question en faisant ces remarques. Cette sortie est en contradiction avec tout ce que le candidat Mélenchon dit, mais en concordance avec ce qu’il pense, au fond. Il manifeste qu’il y a les chefs d’une part, et d’autre part ceux qui n’ont le droit que de fermer leur gueule. Il veut de la discipline, et il prépare la révolution citoyenne, mais à condition que "les citoyens" (la volonté générale rousseauiste) parlent par sa voix. Vieille tendance jacobine, et origine de toutes les dictatures.
– L’anecdote a une signification politique circonstancielle. Mélenchon est interpellé à la fête de l’Huma par un militant communiste de base, sur la présence de Martine Aubry et l’utilisation de son image. Voilà une faute de communication, dans un exercice de communication ! Le réel tout d’un coup fait irruption, dans la fabrique des images. Et patatra, une nouvelle image apparaît, désastreuse celle-là.
– Désastreuse, parce qu’on ne doit pas oublier le rôle des images télés dans une campagne politique. Bcp de ces campagnes ont basculé sur une seule image. C’est irrationnel, mais c’est comme ça. A l’inverse, une image, comme la gifle de Bayrou, peut propulser un candidat. Il sera intéressant de voir comment Mélenchon réagit et gère la situation. Il va falloir réparer la gaffe du côté de l’opinion publique, et du côté des militants communistes, qui constituent comme le lui rappelle une militante dans le film quelques seconde avant cet épisode, le gros de ses troupes. La discipline suffira-t-elle ?
Aphatie, pardon.
Bon. Alors, fallait-il ou non publier cette brève qui a perturbé les administrateurs de l’Agitateur ?
Je ne sais pas si cela nous a perturbé...mais pour moi, le véritable argument qui aurait pu faire que l’on n’en parle pas est que cette info va être (est déjà) reprise et discutée un peu partout. Mais le Cher étant un département avec de nombreux militants communistes, il n’est pas idiot de mettre le sujet sur le tapis et de voir ce qu’en pensent des militants (communistes ou non), ou tout simplement des citoyens qui observent le débat politique.
Mais sinon, je d’accord avec ton analyse. On va voir comment Mélenchon va gérer cette erreur de communication (car au fond, il s’agit principalement de cela). Car visiblement là, son naturel est revenu au galop. Et son naturel, il peut à la limite se comprendre face à des adversaires politiques, il est déjà beaucoup moins compréhensible face à des journalistes (qu’il traite comme des adversaires politiques ce qu’ils ne sont pas...) et pas du tout compréhensible face à des militants. Bon, on n’objectera que l’on parle là de comportement et que les idées de Mélenchon et du Front de Gauche ne sont pas en jeu. Mais peut-on totalement dissocier les idées du comportement de celui qui les porte ? En réfléchissant, oui. Intuitivement, non. Le comportement est la plupart du temps jugé révélateur.
Car visiblement là, son naturel est revenu au galop
Je sais pas si on peut poser le problème dans ces termes. Son "naturel", tu veux dire son agressivité naturelle ? Un peu d’agressivité sied bien à un chef politique. L’agressivité peut d’ailleurs s’exprimer de façon brutale, ou plus policée. C’est une question de manière. Ou alors, est-ce qu’on parle de son autoritarisme ? Ce n’est pas la même chose. Là, en face d’un adversaire politique, ça n’a plus du tout de sens. Mais ça en a vis à vis d’un militant de base. Ou alors, on peut dire que Mélenchon est agressif, et que son agressivité se traduit en autoritarisme quand il parle aux gens de chez lui. Mais là je ne suis pas convaincu non plus. Parce qu’on fait dériver une attitude politique d’un caractère. Or, il est peut être caractériel Mélenchon, mais il est surtout autoritaire, et les deux notions ne se recouvrent pas. Mélenchon est un républicain qui croit en la loi, en la hiérarchie, en la raison, en l’ordre. Il fonde son autorité sur sa position, sur ce qu’il sait ("je vais te l’apprendre"), et sans doute aussi sur la haute idée qu’il se fait de sa mission. C’est pas des petits rigolos les républicains. Il y a un côté réac dans le républicain. Voir Chevènement. Un côté rigide, qui clôt la discussion. Allez, on va dire le grand mot, un coté antidémocrate, si la démocratie, c’est le pouvoir de tous de parler et de décider. Alors tout ça c’est pas dans l’air du temps. C’est une position qui a sa noblesse, mais aussi ses dangers, comme je l’ai rappelé dans un précédent message. Donc c’est un incident qui a plus à voir avec un acte manqué, au sens freudien, qu’avec une erreur. Ou si on veut c’est une erreur qui révèle quelque chose de l’homme (très sincèrement je m’en fous un peu) et du politique Mélenchon (ça c’est plus intéressant). Le politique cad celui qui a été formé à OCI, "petit soldat éduqué et discipliné, avec son fanal rouge" (c’est lui qui parle comme ça, je n’invente rien) et le républicain qu’il est devenu viscéralement. Ce politique là est un antilibéral, au sens propre et le plus inquiétant du terme.
Comment dénoncer le comportement de Sarko qui avec son "casse-toi pauv’ con" a fait le slogan du Parti de Gauche et se comporter de la même façon ? Là, il n’était pas en face d’un journaliste (a priori), il ne pourra donc pas arguer de la nullité des membres de cette profession. Quelque soit sa valeur, ses idées et ses convictions, rien n’autorise Mélenchon à avoir un tel comportement.
Le mieux qu’il aurait à faire maintenant, c’est de s’excuser et de plaider la pression et le stress de l’évènement. Toute justification sans excuse ne fera que l’enfoncer...