Rencontre

Nous vivons dans une société fermée vivant sur des tabous

Interview d’Arezki Mellal (première partie)
vendredi 26 juin 2009 à 13:12, par Mercure Galant

C’est toujours pareil. La vie nous réserve ses plus agréables surprises quand on s’y attend le moins. Il n’aura fallu qu’une discussion informelle avec un ami, fin 2008, reprise il y a quelques jours à l’occasion d’une lecture théâtralisée par des écoliers, pour que se profile la possibilité de rencontrer Arezki Mellal, auteur algérien en résidence pour quelques semaines à Bourges. l’Agitateur a pu ainsi recueillir les souvenirs et les impressions d’un homme engagé qui a bien voulu évoquer pour nous, l’histoire récente de son pays, le récit de son propre parcours et nous faire part de quelques commentaires, sur sa perception de la France et, plus localement, sur son rapide séjour dans notre ville.

MON PAYS
Mon pays torride de sable et de vent
d’oasis perdues dans la poussière du temps
mon pays de dunes comme femme sur le flanc
Cette fuite entre les doigts et ces marées
qui n’ont pas d’heure
font le coeur immobile au milieu des midis
Le coeur ne change jamais
et chaque homme est un point d’eau
Mon pays où le sel affleure

Areski Mellal

Nous vivons dans une société fermée vivant sur des tabous
Lecture de textes d’Arezki Mellal par la Compagnie les Yeux d’Encre

L’Agitateur : Arezki Mellal, vous êtes né à Alger dans les années qui précédèrent la guerre d’indépendance.

Arezki Mellal : En 1954 j’avais cinq ans. Nous étions en pleine guerre quand je suis entré à l’école. Au moment de la déclaration d’indépendance, j’avais treize ans.

L’Agitateur : Ces épisodes vous ont probablement fortement marqué. Comment avez-vous traversé cette période de votre enfance ?

Arezki Mellal : Oui, j’ai des souvenirs très nets de la guerre. J’ai passé toute mon enfance à la Casbah. Le film qui retrace exactement ce que j’ai vécu c’est « la bataille d’Alger » de Pontecorvo avec le quartier complètement entouré de barbelés sur un ou deux mètres de profondeur et les fouilles systématiques, même sur les gamins et leurs cartables… Mon école était située à la périphérie de la Casbah, dans les quartiers européens. Pour sortir ou entrer il fallait faire la queue pour passer à la fouille à chacun de nos passages. Lorsque nous allions voir mes grands parents, une fois par mois, il fallait prendre un bus complètement grillagé avec des soldats contrôlant tout. Il est vrai qu’à l’époque la France avait déployé un million d’hommes, militaires et auxiliaires en civil…

L’Agitateur : Avez-vous eu, dès cette époque, un rapport privilégié à l’écriture ?

Arezki Mellal : Je ne sais pas… peut-être. Quand j’étais à l’école primaire on apprenait la langue française. Mon rapport à cette langue a tout de suite été quelque chose de très fort. L’arabe, je l’ai appris beaucoup plus tard en allant au collège, comme seconde langue étrangère... J’étais un gros lecteur. De milieu modeste, j’ai évidemment commencé par dévorer mes livres de classe. La grammaire me passionnait ! Ensuite il y a eu les emprunts à la bibliothèque du collège, puis plus tard à l’adolescence, j’ai acheté mes propres livres. Voilà… j’ai donc lu énormément, mais est-ce que c’est cela qui m’a amené à l’écriture ? Je crois qu’on ne va pas vers l’écriture, c’est l’écriture qui vient à vous.

L’Agitateur : Dans votre parcours, le statut d’auteur n’est pas venu tout de suite effectivement…

Arezki Mellal : J’ai toujours écrit et exercé des activités dans les métiers du livre. Si j’étais auparavant un « homme des lettres », je suis maintenant devenu un homme de lettres (rires). J’ai toujours écrit des livres, des scénarios de bandes-dessinées, des nouvelles aussi…. Et je savais qu’un jour je me consacrerai exclusivement à l’écriture. Mais avant j’avais d’autres choses à faire. J’ai passé une grande partie de ma vie dans des engagements syndicaux ou des luttes politiques. Avec le basculement de l’Algérie dans la violence, j’ai senti que c’était le moment de franchir le pas.

L’Agitateur : C’est donc à cette période que vous avez commencé à publier des textes que vous aviez déjà écrits ?

Arezki Mellal : Oui, des nouvelles par exemple… Mais après la grande période de violence, lorsque les choses se sont un peu calmées, Bouteflika a présenté ce qu’il a appelé la Réconciliation Nationale qui est en fait une trahison. Ce référendum ne fut pas du tout conforme à ce que désirait le peuple. La question était « Est-ce que vous voulez la paix » ? Tout le monde a répondu « oui », évidemment. Fort de cela, Bouteflika a pris des mesures pour gracier tous les terroristes et donner de l’argent pour leur réinsertion sociale. Ma première grande contribution à cette décision politique a donc été d’écrire un roman [1]. Ce qu’il faut dire c’est, qu’en même temps qu’il amnistiait les pires barbares, Bouteflika fit passer une loi interdisant d’évoquer ce qu’il nomme la « tragédie nationale ». Non seulement les barbares redevenaient libres mais ceux qui s’opposaient à cela risquaient la prison ! Mais le danger existe au sein même de la société. Tous ces barbus, toutes ces femmes habillées en noir, c’est ça le danger ! Nous vivons dans une société fermée vivant sur des tabous.

L’Agitateur : Vous n’êtes donc pas optimisme quant à une possible évolution de la société algérienne ?

Arezki Mellal : Vous savez l’islamisme n’est pas uniquement un phénomène algérien. C’est l’idéologie dominante dans tous les pays arabes et musulmans aujourd’hui. Je dis souvent que si l’on organisait, du Maroc jusqu’en Indonésie, un vote démocratique « à la française », des pouvoirs intégristes s’installeraient partout. Voyez l’Iran… et les Palestiniens, probablement les gens les plus politisés du monde arabe, qui après cinquante ans de luttes politiques vont voter pour le Hamas ! . Quand nous étions jeunes, nous pensions bêtement qu’avec le développement scientifique, la religion allait reculer. Eh bien ce n’est pas vrai. Il n’y a aucun antagonisme entre la science et la religion. On s’enfonce même de plus en plus dans l’obscurantisme. Il y a eu une faillite de la pensée politique arabe et notre culture s’est effondrée pour laisser place à cette intrusion du Moyen-âge.

L’Agitateur : À quand cela remonterait-il selon-vous ?

Arezki Mellal : Je pense que ça s’est déclenché dans les années quatre-vingts au moment même où naissait la pensée ultra libérale américaine avec Reagan et anglo-saxonne avec Thatcher. Après l’effondrement de l’Union Soviétique et le recul de la pensée socialiste, la religion et le libéralisme semblèrent très bien aller de pair. Aux Etats-Unis par exemple, libéralisme, technologie et obscurantisme cohabitent sans problème. Je n’oublie pas queBush ouvrait tous ses conseils avec la Bible… Bien sûr, l’islamisme n’est pas un parti politique mais une vraie lame de fond, une idéologie écrasante dans tous les pays arabes. Maintenant, qu’il n’y ait pas de résistance de la part des démocrates démontre qu’il y a une faillite de la pensée arabe. Beaucoup d’intellectuels sont des lâches qui se sont taillés pour venir vivre ici en Europe. J’en éprouve beaucoup de ressentiment.

L’Agitateur : Revenons sur votre propre engagement avec ce premier roman Maintenant ils peuvent venir, paru à Alger en septembre 2000.

Arezki Mellal : Oui et publié deux ans plus tard en France…

L’Agitateur : Vous aviez des liens avec la France à ce moment là ?

Arezki Mellal : Non ce sont les éditions Actes Sud qui ont pris contact avec moi par l’intermédiaire de Thierry Fabre, Directeur de la revue La pensée de midi. C’est un grand militant « méditerranéen ». [2] Il a créé et dirige également les rencontres d’Averroes à Marseille [3]

L’Agitateur : Comment vous a-t-il contacté ?

Arezki Mellal : Il avait décidé de consacrer un numéro de sa revue à l’Algérie et il a osé venir à un moment où les gens ne venaient pas. C’était courageux car il ne voulait pas se fier à ce que racontait la presse française mais souhaitait rencontrer des éditeurs et des auteurs sur place. C’est comme ça que nous nous sommes rencontrés.

L’Agitateur : Les contacts se sont-ils multipliés par la suite ?

Arezki Mellal : Ensuite, les événements se sont un peu précipités effectivement. Dès 2000, Bouteflika a favorisé la réouverture du pays et le retour des relations avec l’ensemble de la communauté internationale. On peut quand même mettre cela à son actif. En 2003, fut donc programmée l’année de l’Algérie en France. Pour préparer cet événement des français étaient venus en amont, deux ans auparavant. Deux commissariats furent créés à cette occasion, l’un en France et l’autre en Algérie pour favoriser les échanges. Patrick Le Mauff, Directeur des Francophonies en Limousin, fut chargé par les Français, d’organiser les manifestations théâtrales. Il voulait rencontrer des auteurs et moi j’écrivais également des pièces de théâtre. Cette rencontre a été une nouvelle chance pour moi. Patrick Le Mauff m’a proposé de venir à Limoges. Après constitution d’un dossier, j’ai pu découvrir ce qu’était une résidence d’auteur.

L’Agitateur : C’était votre premier séjour en France ?

Arezki Mellal : Oui, je me retrouve donc à Limoges en 2002 pour une résidence d’écriture de trois mois, j’obtiens une bourse et l’on n’exige rien en contrepartie ! Il faut être un grand pays pour faire ça. C’est une très belle image de la France. Ensuite, j’ai envoyé mes pièces de théâtre à la maison d’édition Actes Sud Papiers à Paris qui a accepté de publier ces textes en 2004 et 2005. [4] Ayant bénéficié par la suite d’aides du CNL, du CNT et de l’association Beaumarchais j’ai pu revenir en résidence et j’ai pris la décision d’arrêter de travailler- depuis trois ans maintenant- pour me consacrer entièrement à l’écriture. Mes pièces ont été jouées, c’est bien. Cette politique française a joué un rôle fondamental dans mon parcours, sinon je n’aurais pas pu continuer aussi facilement.

à suivre...

[1Le seul roman d’Arezki Mellal paru à ce jour : Maintenant ils peuvent venir

[2Ndrl : La revue La pensée de midi s’intéresse effectivement au rapprochement des peuples vivant autour de la Méditerranée.

[3Ndrl : Averroes est un grand philosophe arabe.

[4Ndrl : Il s’agit des pièces suivantes :Délégation officielle, en remontant le Niger et Sisao.