Rencontre

Vous êtes un pays formidable et vous ne le savez pas !

Interview d’Arezki Mellal (deuxième partie)
samedi 27 juin 2009 à 18:43, par Mercure Galant

C’est dans l’atelier des mille univers, à l’occasion d’une lecture de ses textes, que nous avons retrouvé Arezki Mellal une dernière fois. Des extraits de son roman Maintenant ils peuvent venir et de sa pièce En remontant le Niger étaient mis en voix par des comédiens de la Compagnie Les Yeux d’encre et de la Compagnie Pace, deux troupes de théâtre berruyères. Une belle manière de saluer l’auteur, visiblement ému, qui va quitter prochainement Bourges pour rejoindre Alger. Dans cette deuxième partie de notre entretien, il a parlé plus particulièrement de son passage dans notre région, de ses projets d’écriture et de l’image qu’il garde de la France.

SAISONS
Dis-moi pourquoi
l’hiver quand je me glisse
dans l’été de ton corps
avec du printemps dans mes rêves
pourquoi
l’automne est-il dans mon coeur
avec ses feuilles mortes déjà ?
Ses feuilles mortes

Arezki Mellal

Vous êtes un pays formidable et vous ne le savez pas !
Lecture de textes d’Arezki Mellal par la Compagnie Pace

L’Agitateur : Plus localement, comment se sont noués les liens qui vous ont fait venir à Bourges ?

Arezki Mellal : en France, un intermédiaire diffuse mes textes dans les réseaux, les théâtres, etc… C’est ainsi que l’association mille univers a été contactée. [1] Frédéric Terrier a réagi favorablement et je me suis donc retrouvé à Bourges. C’est une belle rencontre car on a beaucoup de points communs, l’imprimerie, la typographie, ces métiers que je connais depuis toujours. Je suis donc ici comme un poisson dans l’eau. À Bourges je ne suis pas entré en contact avec beaucoup de personnes, hormis celles avec lesquelles je suis amené à travailler directement ou indirectement. Ce qui représente tout de même pas mal de gens finalement.

L’Agitateur : Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste une résidence d’artiste ?

Arezki Mellal : À Noirlac, j’ai déjà réagi à l’appellation « artiste » qu’on me prêtait. J’ai discuté avec des gens qui étaient étonnés que je ne me considère pas comme un artiste. On est dans le concept. Je ne crois pas que la littérature soit de l’art. Ce sont deux choses différentes. Je suis surpris qu’on puisse confondre l’artiste et l’écrivain. Même si je peux parfois me considérer comme « artiste » dans certaines activités comme la photo. Ce n’est pas une question tout à fait simple…

L’Agitateur : L’Art ne rentre donc pas dans le champ de votre travail d’écriture ?

Arezki Mellal : L’art de l’écriture c’est la calligraphie. En arabe, il y a d’ailleurs de très belles calligraphies mais je n’ai rien à voir avec ça ! (rires) Quand on parle d’Art, il en ressort forcément un côté esthétique qui nécessite un « savoir faire ».

L’Agitateur : Revenons-en au quotidien d’un auteur en résidence...

Arezki Mellal : On a des obligations légales en contrepartie des bourses accordées. [2] Les auteurs donnent donc une partie de leur temps aux activités de l’association. Un calendrier est mis en place et plusieurs expériences très belles ont été menées avec des écoliers, des collégiens, des bibliothécaires et même des prisonniers. Le reste du temps je le consacre à mon projet personnel.

L’Agitateur : Combien de projets avez-vous suivis ?

Arezki Mellal : Plusieurs ont été menés avec les élèves du collège de la Guerche, les écoles de Gracay, Barbès et Auron B à Bourges, sans oublier des interventions sur la prison, c’est important aussi.

L’Agitateur : Est-ce que le public rencontré en prison est demandeur de ce genre de rencontres ?

Arezki Mellal : C’est un peu compliqué. Normalement tous les gens sont volontaires pour assister à ces ateliers. Au départ ils étaient huit mais seulement deux seront restés jusqu’à la fin. Pourtant ça vaut le coup de continuer car la motivation de ces deux là est très forte. J’ai beaucoup de respect pour ça. Ils le méritent.

L’Agitateur : Comment avez-vous perçu Bourges ?

Arezki Mellal : Bourges est une petite ville qui me va très bien. Il en émane un sentiment de paix et de calme. C’est tout ce qu’on demande la paix.

L’Agitateur : Vous savez sans doute qu’en France, le calme des villes de province est plutôt sujet à moqueries…

Arezki Mellal : Je le sais bien oui, mais il y a dans cette ville des choses qui sont très belles. Au cours d’une promenade, plusieurs siècles se côtoient. C’est une véritable remontée dans le temps.

L’Agitateur : Vous ne pouvez pas retrouver ces sensations à Alger ?

Arezki Mellal : On n’a pas cette histoire car l’Algérie a été complètement rasée par le colonialisme. Elle était une colonie de peuplement, contrairement à des pays comme la Tunisie ou le Maroc qui ont pu conserver leur histoire et leur architecture. Nous, nous n’avons gardé que l’héritage colonial.

L’Agitateur : Combien de temps serez-vous resté à Bourges ?

Arezki Mellal : Je suis venu deux fois un mois et demi. Un premier séjour a eu lieu en octobre-novembre et celui-ci, qui se termine à la fin du mois de juin. Trois mois en tout donc.

L’Agitateur : Quels sont vos impressions à l’issue de ce séjour ? Qu’est-ce qui a prévalu pour vous ? Les rencontres ou le travail d’écriture ?

Arezki Mellal : Comme je l’ai déjà dit, en venant à Bourges je ne souhaitais pas tellement établir de contacts. Je voulais surtout me consacrer à mon travail et j’envisageais cette résidence comme une coupure. Mais des rapports subjectifs se nouent inévitablement avec tous ces gens croisés, tous ces jeunes, tous ces élèves. Les rencontres furent fortes et chargées en émotions, on n’y échappe pas.

L’Agitateur : Avez-vous l’intention de revenir à Bourges par la suite ?

Arezki Mellal : Je ne sais absolument pas si je reviendrai en France. Il m’est impossible de faire ce type de projet pour le moment.

L’Agitateur : Quels seront alors vos prochains projets d’écriture ?

Arezki Mellal : Je me suis tourné depuis quelques temps vers l’Afrique sub-saharienne. J’ai déjà écrit deux pièces de théâtre dont l’une va être jouée à Avignon prochainement. [3]

L’Agitateur : Pourquoi avoir choisi ce thème ?

Arezki Mellal : J’ai également découvert l’Afrique noire grâce à la France. Vous êtes un pays formidable et vous ne le savez pas ! (rires) Des bourses sollicitées auprès de Cultures France m’ont permis de faire des voyages d’études. Je suis parti deux fois et j’ai ramené deux pièces de théâtre. Prochainement, je compte aller au Burkina pour poursuivre ce travail autour du théâtre.

L’Agitateur : Quelques mots en guise de conclusion ?

Arezki Mellal : Je pense que c’est formidable de vivre dans ce milieu de la francophonie. Cela n’a rien de péjoratif pour moi. J’enlève tout le côté de subordination coloniale. Je suis francophone dans la mesure où je crois que la langue française est aujourd’hui un élément important de l’équilibre du monde. Il s’agit de résister à l’envahissement à outrance de l’américanisation. À chaque fois que je sors un livre ou qu’une de mes pièces est jouée, c’est une victoire sur ce rouleau compresseur. Cela fait partie de mes convictions. Par contre, je constate avec beaucoup de tristesse que la France, qui a toujours été un pays donnant l’exemple au monde entier, est en train de reculer. Si en Europe elle a par exemple influencé de nombreux pays en matière d’avancées sociales, c’est maintenant le contraire qui se produit. La France a perdu son rôle de précurseur. On nivelle dorénavant par le bas. Quand je vais en Afrique noire c’est pourtant de cette France là dont on parle encore...

Lire la première partie 1. "Nous vivons dans une société fermée vivant sur des tabous."

En complément, quelques liens vers de précédentes interviews d’Arezki Mellal.

ici...

... et là

Enfin un lien sur sa biographie et son oeuvre .

[1Pour en savoir plus sur l’association mille univers dirigée par Frédéric Terrier. Lire nos précédents articles ici.

[2On peut en trouver le descriptif sur le site du Centre National du Livre (CNL) .

[3Ndrl : Il s’agit de Fada rive droite, mise en scène Nabil El Azan, création au Festival d’Avignon Off 2009.