Google, le nouveau mal ?
Depuis quelques temps, il est devenu à la mode [1] de présenter Google comme un nouveau danger pour la planète internet et surtout pour la vie privée des internautes. Cela n’est certes pas faux. On peut faire, à juste titre, un grand nombre de reproches à Google. Pourtant, Google est un peu le géant qui cache une forêt de risques qui, avec ou sans lui, existeront toujours. Cette forêt, c’est celle d’une société où l’informatisation extrême devient une faiblesse et un danger potentiel.
Depuis l’entrée en Bourse de Google le 19 août 2004, beaucoup craignaient des dérives. Ces craintes étaient fondées. Pour autant, est-ce que Google est devenu le mal ? Certainement pas.
Google n’est pas irréprochable

Si vous vous amusez à recenser l’ensemble des reproches que l’on peut faire à Google, vous allez très rapidement en trouver des dizaines voir des centaines. Un site comme Google Watch résume très bien l’ensemble de ces reproches. Parmi les plus graves, le fameux Google Chine qui se soumet à la censure du pouvoir local depuis son lancement en 2006. En Chine, Google n’est pas hégémonique puisqu’il n’a "que" 30% de parts de marché, il est largement distancé par Baidu [2] qui est le véritable géant chinois de la recherche sur internet. Pourtant, on aurait pu s’attendre à une éthique irréprochable de la part de la société américaine dont le slogan officieux n’est autre que « Don’t be evil » - Ne soyez pas le mal. Mais les sirènes du gigantesque marché chinois sont décidément plus fortes que l’éthique de la société américaine. Par cette action, Google a déçu et mis en évidence une chose dont peu de gens doutaient : Google n’est pas une société meilleure que les autres et ne fait pas mieux que les centaines ou les milliers de sociétés ou de gouvernements qui travaillent en Chine ou avec la Chine en se moquant des droits de l’homme. Parmi d’autres reproches que l’on peut faire à Google, j’ai noté celui du navigateur Google Chrome qui recueille un grand nombre d’informations personnelles à l’insu de ses utilisateurs en utilisant un identifiant unique permanent lié à l’installation du logiciel. A noter que si l’on a pu détecter la chose, c’est que le logiciel surnommé "Big Browser" est open source...
Des critiques justifiées mais à retardement
Tous ces reproches se trouvent actuellement sous la lumière des projecteurs suite à une bourde de communication du patron de Google qui a fait réagir un responsable de la fondation Mozilla [3] qui en a rappelé à ses utilisateurs la possibilité d’utiliser le moteur de recherche Bing de Microsoft en lieu et place de Google ; selon Asa Dotzler, « Bing respecte mieux votre vie privée que Google ». Ce qui est plutôt amusant dans cette affaire, c’est que Mozilla et Google sont partenaires depuis de nombreuses années. La fondation Mozilla doit même une grande part de son chiffre d’affaire à Google. Il est quand même pour le moins étonnant que des membres de la fondation Mozilla aient attendu cette bourde pour commencer à dénoncer ouvertement la politique de Google concernant la vie privée des internautes... mais peut-être est-ce là le résultat de la concurrence que se livrent Firefox et Google Chrome.
Il serait quand même plus sérieux de critiquer ce que fait Google, et il y a matière, que ce qu’il dit.
Un contexte d’informatisation galopante
Pour comprendre, il faut tenter de resituer Google dans le cadre de l’informatisation galopante de notre société. Une image qui permet de prendre la mesure de l’ampleur du phénomène est celle de la comparaison entre d’une part, le passage de l’ancien franc au nouveau franc en 1960, et d’autre part, le passage du franc à l’euro le 1er Janvier 2002. Le second passage a été bien plus complexe que le premier à cause de l’informatisation qui a tout envahi, des entreprises aux particuliers. Une des grandes étapes de l’informatisation des particuliers a été l’apparition de la micro-informatique dans les années 80 qui a eu certes le mérite de démocratiser l’informatique mais le tort d’envahir petit à petit notre quotidien. La connexion en réseau de l’ensemble des postes informatiques, qui s’est généralisée avec l’apparition d’un internet grand public au milieu des années 90 a amplifié ce phénomène. Des années 80 aux années 2000, notre quotidien a été transformé : de l’ordinateur, à la télévision, au téléphone, vos cartes de transport, de cantine, de paiement, le badge d’accès à l’entreprise, du travail à la maison, tout n’est que traitement automatique de l’information. Cette transformation s’est faite à une vitesse impressionnante et n’a pas laissé le temps à la société de prendre conscience de son impact et de ses risques. Seuls les avantages et les avancées technologiques ont été mises en avant. En France, un des pays du monde les plus avancé au niveau de la protection de la vie privée, la CNIL [4] a été créée en 1978. Mais en 2009, elle n’a guère plus de moyens et de pouvoir qu’à sa création alors que le domaine dont elle s’occupe a littéralement explosé. Et à part la CNIL, c’est le désert. Les français, comme la plupart des citoyens du monde, sont à peu près ignorants de tous ces systèmes d’informations qu’ils utilisent chaque jour sans le savoir. Et c’est bien cela le problème. L’école s’est emparé maladroitement de l’informatique comme d’un outil qu’il faut apprivoiser, sans plus. Personne n’a formé les citoyens aux problématiques de l’informatique dans notre société. D’où le désastre aujourd’hui.
Tout part d’un moteur de recherche
Google est arrivé au milieu de tout cela en 1998, donc relativement tard par rapport à d’autres acteurs éminents de l’informatique et même d’internet. Quel était le but de Google en 1998 ? Référencer le plus de sites web possible et les indexer au mieux afin de guider les internautes à travers la toile qui grandit de façon exponentielle. Google référence des données accessibles à tous. Le fameux googlebot emprunte, pour donner une image, toutes les routes qui lui est possible d’emprunter, sans se poser de questions. Et pour cause, il s’agit d’un programme informatique basé sur un algorithme dont le défaut est d’être secret, mais dont les grandes lignes de fonctionnement sont largement publiques.
Et c’est là, le grand reproche qui est fait à Google qui tire toute son hégémonie actuelle de la réussite de son moteur de recherche. Pourtant, comme tout programme, ce moteur de recherche n’est pas parfait et connaît bien entendu de nombreux ratés. Et c’est en associant les ratés de Google et le secret de son algorithme que les détracteurs de Google font leur beurre : ils n’hésitent pas à jouer sur les peurs et l’ignorance de la plupart des utilisateurs pour la chose informatique pour transformer sans plus de procès, Google en acteur politique manipulateur. Pourtant, c’est tout le contraire : Google est avant tout un acteur technique, une société d’ingénieurs qui sont à la pointe de leur domaine qui est tout juste naissant. Et c’est bien parce qu’ils n’ont pas pris la pleine mesure de leur rôle politique et du contexte général qu’ils sont critiquables. En effet, ils auraient dû se rendre compte que la plupart de leurs utilisateurs ne sont pas à même de comprendre, malgré les avertissements, l’impact des produits Google sur leur vie privée. Ils auraient dû se rendre compte qu’internet jouant un rôle désormais primordial dans le monde, en être la porte d’entrée principale donnait de grandes responsabilités.
Un acteur technique qui croît sans cesse
C’est l’une des raisons qui font que Google fait peur : on ne voit pas de limites à son appétit. Le nombre d’informations disponibles croît sans cesse et Google avec. Si le coeur de métier de Google est la recherche sur internet [5], il ne cesse de multiplier ses domaines d’intervention : internet, votre poste de travail, votre téléphone portable, les bibliothèques, les rues de la planète et même les satellites sont des terrains de jeux potentiels de Google. Son but, recenser le plus de données possibles et les restituer de façon compréhensible et innovantes à l’ensemble de ses utilisateurs...gratuitement. Ce dernier point peut paraître être un détail, pourtant, il a son importance. Ce service gratuit est bien sûr amplement financé par la publicité et le système Adwords, Google n’est pas une société philanthropique. Mais à l’excellence et l’innovation technique, Google ajoute l’innovation commerciale qui, associées, créer un effet de levier assez incroyable. Chaque semaine, il nous semble que Google présente un nouveau produit. Google est partout. Google est très riche. De la sympathique start-up californienne de 1998, Google est devenu pour beaucoup, un monstre. Pourtant, selon Google, « il est possible de gagner de l’argent sans vendre son âme au diable ».
Google contribue positivement à l’écosystème internet
Et de fait, Google a contribué depuis 1998 à une plus grande ouverture du monde informatique, à une plus grande ouverture des postes utilisateurs qui, il y a peu, étaient totalement aux mains d’un autre géant encore plus décrié, Microsoft [6]. En faisant la promotion et en contribuant à des navigateurs libres, à des systèmes d’exploitation libres, en faisant la promotion d’un internet contributif et pas seulement purement marchand, Google a contribué à ce qu’internet ne soit pas déjà dans les mains de quelques-uns. Google, même si il n’est pas exempt de tous reproches à ce niveau, est un défenseur de la neutralité du net. Il a bâti sa réputation sur cet état d’esprit. Sans cela, il n’aurait certainement pas obtenu la confiance de millions d’utilisateurs. Aujourd’hui, alors que plus que jamais, les projecteurs sont braqués sur le géant américain, il parait difficile pour Google de s’écarter trop ouvertement de cette ligne de conduite sans subir de préjudices. Pourtant, pendant que beaucoup s’acharnent sur Google, des centaines ou milliers de sociétés bien plus opaques ou obscures font leur business sans obéir à aucune loi, et ce en toute tranquillité. Et c’est là un danger non négligeable. Mais pas le seul. Le plus grand risque actuel, c’est bien celui d’une reprise en main d’internet par les gouvernants qui, de toute façon, ne feront, bien entendu, absolument rien pour limiter les dérives liées au business d’internet.
Ne pas se tromper de cible
Google n’est donc pas big brother pour l’instant, loin de là, ce n’est qu’un bout de la partie apparente de l’iceberg informatique. Google a surtout le tort d’être une société hégémonique...et en plus américaine ce qui n’arrange rien aux yeux de beaucoup. Sa visibilité fait qu’une telle société concentre l’ensemble des critiques. Il faudrait en réalité en grande partie imputer les reproches faits à Google à l’ensemble de la société civile et aux changements de comportements et de mentalités. Si Google indexe votre vie privée, c’est que vous l’avez vous même exposé publiquement sans réfléchir aux conséquences. Et si l’exposition de la vie privée se généralise, ce n’est pas Google qui en est la cause. Google se contente de faire son travail : indexer ce qui est public, sans jugement moral. Le reste des données que Google utilise sont des données qui lui permettent de mieux cibler sa publicité et, donc, d’augmenter sa rentabilité. Google est une entreprise comme les autres. Ni meilleure ni pire que les autres. Il faut certes garder un oeil sur le géant américain qui est un risque potentiel. Mais crier haro sur Google sans réfléchir au contexte général de notre société, c’est prendre le problème par le petit bout de la lorgnette. C’est oublier que les utilisateurs de l’outil informatique n’ont pas été éduqués correctement à son usage et contribuent ainsi à faire grossir de façon anarchique, la pieuvre informatique. Crier haro sur Google, c’est finalement se tromper de cible et mal poser un problème qui va bien au-delà de Google.
[1] Y compris sur l’Agitateur ici par exemple
[2] En chinois : 百度
[4] Commission nationale de l’informatique et des libertés
[6] C’est toujours le cas, mais l’étau se desserre peu à peu