L’affaire des boues d’Achères
On parle régulièrement des boues d’Achères (78) dans la presse et les radios locales, on en parle à la télévision nationale, et aussi sur les blogs berrichons. Un projet d’épandage de boues de stations d’épuration de la région parisienne autorisé par le Préfet du Cher suscite l’inquiétude. Pour ceux qui n’ont pas suivi tous les épisodes du feuilleton, l’Agitateur va tenter de dire l’histoire. En voici un premier résumé.
Le « cadeau » fait aux communes du Cher
Depuis 2007, cinq mille hectares sur vingt cinq communes du Cher Nord sont concernés par un projet d’épandage annuel de quatorze mille tonnes de boues fertilisantes, mais polluées. Ces boues sont issues de la station d’épuration du SIAAP (Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne) à Achères (78) qui traite les eaux usées de la région parisienne. Ces boues dénommées “Fertifond P” sont un déchet fourni gratuitement aux agriculteurs. Les épandages sont prévus pour des durées renouvelables de huit ans, sans limite à ces renouvellements.
Ces quatorze mille tonnes de boues s’ajouteraient à celles des stations d’épuration des villes et villages du Cher qui s’élèvent à cinq mille cinq cent tonnes par an, au compost urbain de Bourges et aux fientes avicoles. _ On peut penser que notre département, qui est déjà confronté au financement de l’amélioration et de l’efficacité de ses moyens de traitement (station de Bourges notamment), n’a pas besoin qu’on en ajoute.
Du fait de la présence de nombreuses industries et de l’importance de la population en région parisienne, les boues de la station d’épuration du Siaap d’Achères sont très chargées en métaux lourds et légers (cadmium, cuivre, aluminium, zinc, nickel, plomb, mercure), en produits chimiques (dioxine, arsenic, PCB…). Et aussi des milliers d’autres produits qui ne sont pas recherchés dans les analyses (par exemple antibiotiques, œstrogènes...), parce que l’Europe n’a pas fini d’en établir la liste. Ces éléments s’accumulent pendant des années et polluent irrémédiablement les sols et les rivières. Ce sont des éléments toxiques qui sont responsables de cancers et nombreuses autres maladies graves. En résumé, on peut s’inquiéter légitimement des dangers : pour la santé publique, pour la qualité de l’eau (déjà saturée de nitrates), et pour l’environnement.
Voici un extrait très instructif d’une question au Sénat en 1999. Conséquences de l’épandage des boues des stations d’épuration. Question écrite n° 16871 de Mme Marie-Claude Beaudeau (Val-d’Oise - CRC).
Pollution : Madame le Ministre interrogée au Sénat
"Madame Marie-Claude Beaudeau attire l’attention de Madame le Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement sur les conséquences des décisions prises d’arrêt des cultures maraîchères de la plaine de Bessancourt (Val-d’Oise) et d’Achères (Yvelines). Cette décision est la conséquence de la pratique ancienne de l’épandage pour l’exploitation agricole de cette plaine. Avec l’épandage des boues des stations d’épuration aux propriétés fertilisantes incontestables, la présence de micropolluants toxiques et de métaux a contribué à une pollution importante des sols. Elle lui demande de lui faire connaître les mesures prises en faveur d’une dépollution des sols au plan technique et ses conséquences au plan financier, ainsi que le devenir de cette plaine. Elle lui demande également de l’informer des mesures d’indemnisation des propriétaires et exploitants. Enfin, elle souhaite connaître les instructions données au préfet en faveur du traitement des boues des stations d’épuration". [1]
Réponse de Madame le Ministre : on pollue certes, mais rationnellement, après « traitement »
"La ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement a pris connaissance, avec intérêt, de la question relative aux décisions d’arrêt des cultures maraîchères de la plaine de Bessancourt (Val-d’Oise) et d’Achères (Yvelines). Les terrains concernés ont fait l’objet, depuis un siècle, d’épandage d’eaux usées non traitées, et non de boues de stations d’épuration. L’accumulation de métaux aujourd’hui excessive, qui a justifié, à titre de précaution, l’interdiction de commercialisation des cultures maraîchères, résulte à la fois des fortes concentrations en métaux qui caractérisaient autrefois les eaux épandues et, d’autre part, du fait que les mêmes terrains ont été utilisés pendant une longue durée pour ces épandages. Cette situation ne doit donc pas être comparée avec celle des épandages de boues de stations d’épuration pour lesquels le décret du 8 décembre 1997 et l’arrêté du 8 janvier 1998 fixent des conditions très rigoureuses, notamment quant à la composition des boues et aux doses épandables, ainsi qu’au suivi de la qualité des sols après épandage. Les exploitants agricoles concernés par l’interdiction de commercialisation des cultures maraîchères bénéficient d’une compensation financière, principalement financée par le syndicat interdépartemental d’assainissement de l’agglomération parisienne, gestionnaire du système d’assainissement concerné. Un plan de conversion plus globale de la zone est à l’étude. Il devrait laisser sa place aux cultures autres que maraîchères, le niveau de contamination n’étant pas tel que soit justifiée l’interdiction d’autres cultures. En outre, il a évidemment été mis fin à l’épandage des eaux brutes sur ces terrains ; elles seront traitées dans des unités d’assainissement de l’agglomération parisienne". [2]
Les communes concernées se mobilisent. La Préfecture s’en moque
Lors de l’enquête publique du dernier trimestre 2007, de nombreux habitants du Cher nord ont exprimé leur inquiétude devant le risque de pollution, et leur refus du projet d’épandage. Vingt deux Conseils municipaux des communes concernées ont voté contre le projet. Les conclusions du commissaire enquêteur chargé par la Préfecture de la réalisation de l’enquête publique ont été négatives. Deux pétitions ont été lancées : l’une à la Borne et Henrichemont, l’autre à Argent sur Sauldre, mais, malgré ces avis négatifs et la mobilisation des citoyens pour sauver les sols et la ressource en eau du Cher Nord, la préfecture a signé l’arrêté d’autorisation d’épandage le 6 février 2009.
Maires insoumis, mais la Préfecture a toujours raison
Après avoir étudié cet arrêté, les associations réunies en collectif ont rédigé un mémoire démontrant les erreurs, omissions, irrégularités du dossier qui ont conduit des Maires à s’opposer concrètement à l’arrêté préfectoral par des délibérations ou des arrêtés municipaux.
Les maires de Méry ès Bois, de Blancafort et de Parassy ont pris un arrêté municipal interdisant les épandages de boues-déchets du Siaap sur le territoire de leur commune. Il s’agissait d’un geste de protestation, car seule la Préfecture (qui est responsable de la Police de l’eau) a le pouvoir de prendre une telle décision. La Préfecture a donc demandé l’annulation des arrêtés municipaux au Tribunal Administratif d’Orléans en juillet 2009, et obtenu gain de cause en décembre dernier.
Associations et citoyens se mobilisent
Pendant l’année 2009 le collectif des associations anti boues d’Achères organisait une vingtaine de rassemblements dans les villages concernés par le projet d’épandage, sous le nom de "la ronde des communes". Une nouvelle étape a eu lieu le 17 octobre 2009 à Blancafort où les militants ont pris la décision de préparer une action au Tribunal Administratif pour faire annuler l’arrêté préfectoral.
Le collectif anti-boues a poursuivi ses démarches et rencontres avec les élus, qui ont conduit au vote unanime du Conseil Général du Cher le 7 décembre 2009, demandant le retrait de l’arrêté préfectoral.
La "ronde des communes" a fêté son premier anniversaire en tenant son vingt et unième rassemblement le samedi 19 décembre 2009 à Méry-és-Bois, où le collectif a lancé une souscription afin de faire face aux frais de procédure avec l’opération "Sauvons les parcelles". Cette souscription consiste à parrainer et "sauver" symboliquement des hectares par un don destiné à soutenir le mouvement anti boues.
D’autres réunions publiques auront lieu en 2010, avec la projection du film documentaire "Tabou(e)" du québécois Mario Desmarais.
Les communes concernées par les épandages du Siaap dans le Cher nord sont : Allouis, Argent sur Sauldre, Aubigny sur Nère, Blancafort, Brinon sur Sauldre, Cerbois, Clémont, Concressault, Ennordres, Étrechy, Gron, Henrichemont, Ivoy le Pré, La Chapelle d’Angillon, La Chapelotte, Lazenay, Lury sur Arnon, Méry ès bois, Oizon, Presly, Sainte Montaine, Saint Laurent, Soulangis, Vignoux sur Barangeon, Villabon.
Le collectif anti-boues regroupe six associations :
– Les Amis de la Borne,
– Ensemble, (Association laïque et solidaire de Mérié),
– Nature 18,
– Respa (Rassemblement Protection Environnement Saint Palais et Alentour),
– Asmrcn (Association pour la Sauvegarde du Milieu Rural en Cher Nord)
– Avec (Association de Veille Environnementale du Cher).