L’épingle et les marrons
Je suis avec attention le parcours de Jean-Luc Mélenchon depuis qu’il a claqué la porte du PS en 2008. Non pas parce que je cherche une nouvelle idole ou un nouveau maître à penser, mais uniquement parce qu’un socialiste de plus de 30 ans qui quitte le PS parce qu’il ne le trouve plus socialiste, c’est rare.
Les caciques du PS naviguent souvent entre les courants, mais ne vont jamais jusqu’à quitter le navire, les places y sont trop bonnes, et, sait-on jamais, un strapontin pourrait se libérer opportunément. Dans ce cas là, mieux vaut être dans le sérail. Donc, un socialiste qui quitte le PS parce qu’il n’est plus à gauche, pour promouvoir une politique de gauche au sein du Parti de Gauche, ça démarre plutôt bien. Mais, qu’en plus, ce Parti de Gauche ne se contente pas d’une critique systématique et confortable, ne se contente pas d’être simplement anti-capitaliste mais se revendique socialiste, veuille accéder au pouvoir en défendant des idées socialistes et en les soumettant au suffrage universel, il y a belle lurette que ça n’était pas arrivé. [1]
Sauf que. C’est quoi, le Parti de Gauche, 3 ans après sa création ? Mélenchon. Et qui d’autre ? Mélenchon. Qui est capable de citer spontanément le nom du co-fondateur du Parti de Gauche [2] ? Qui est capable de citer spontanément le nom du co-président du Parti de Gauche ? Non, non, ne réfléchissez pas ! Un nom là, tout de suite !… Un indice : c’est une présidente [3]. Impossible, hein ? C’est quand même un problème, non ? Qui connaît le programme politique du Parti de Gauche ? Toujours pas de réponse ? Normal, il n’y en a pas, de programme. [4] Le programme, c’est Mélenchon !
Le Parti de gauche ne serait alors qu’une coquille vide servant de façade démocratique aux ambitions personnelles et démesurées d’un seul homme ? C’est exactement ce que disent le PS, les télés, les journaux, enfin tous les tenants de la pensée unique qui expliquent qu’il n’y a pas d’alternative politique au libéralisme économique, cette doctrine – cette croyance, plutôt – qui veut que l’égoïsme de chacun fasse l’intérêt de tous. Ce qu’un ami résume par cette phrase pleine de poésie : « c’est ceux qui bandent le plus fort qui enculent les autres. » Une petite image vaut souvent mieux qu’un long discours…
Donc, le PS, les télés, les journaux nous disent que Mélenchon est un dangereux personnage [5]. Allez savoir pourquoi, mais depuis 2005 et le referendum sur l’Europe, quand le PS, les télés, les journaux répètent tous en chœur la même chose, j’ai tendance à croire le contraire. Un réflexe. Alors je lis, j’écoute. Pas ce que disent le PS, les télés, les journaux, mais je lis et j’écoute Mélenchon. J’ai lu son bouquin [6]. A part les quelques lignes sur la Chine [7] qui font un peu tâche à la fin, ça me convient parfaitement. Rien que d’autres lectures ne puissent nous apprendre, mais c’est écrit dans un langage clair, avec une chronologie qui met bien les choses en perspective. Tous ceux qui sont parvenus au bout des 19 pages du bouquin de Stéphane Hessel, sont maintenant capables de s’attaquer aux 140 du bouquin de Mélenchon. Et ils verront quelles sont les vraies raisons de s’indigner. Je lis son blog aussi. Un vrai blog avec plusieurs articles par semaine, argumentés et développés. On est pas sur twitter ou fesse bouc. Et avec un vrai forum même pas modéré à priori. On y a même le droit de dire qu’on est pas d’accord. Incroyable, non ? Et j’écoute ses discours (merci La Chaîne Parlementaire) et ses interventions à la télé et la radio. Rien à dire sur le fond. Mais sur la forme…
Qu’un discours qui s’adresse à des militants ou des sympathisants soit un peu « punchy », ça se comprend, il faut bien mobiliser les troupes. Mais que chaque intervention à la télé ou la radio se transforme presque à chaque fois en match de boxe finit par lasser. Qu’il ait fallu adopter cette attitude pour avoir accès aux médias de masse peut se comprendre. Ceux-ci ont en effet cette particularité que, lorsque ils vous ignorent ou vous méprisent, il suffit d’en dire du mal pour qu’ils vous invitent ! Mais c’est bon, maintenant, cette étape-là est gagnée. Pas une semaine sans que Mélenchon ne soit invité par une télé ou une radio, actuellement. Il serait peut-être temps, pour quelqu’un qui prétend à la magistrature suprême - comme disent le PS, les télés et les journaux – d’adopter une attitude de présidentiable. Comment faire confiance à quelqu’un qui n’est pas capable de maîtriser ses nerfs, et qui répond par la violence verbale à l’outrance des questions des journalistes ? Si c’est amusant au début, si ça soulage de voir enfin un homme politique renvoyer les journalistes dans les cordes, pas sûr que ça rassure la ménagère de moins de 50 ans ou le salarié de plus de 50 ans qui vient de se faire virer parce que plus productif.
Qu’on le veuille ou non, dans la monarchie élective qui sévit en France, la seule élection qui compte, c’est la présidentielle. Et un Président se doit d’être au dessus de la mêlée, et ne pas répondre « casse-toi, pauvre con » à chaque fois qu’il est contrarié. On a déjà donné. Mélenchon, par sa conviction, sa volonté et son talent d’orateur a réussi à tirer les marrons du feu. Mais « tirer les marrons du feu » ne veut pas dire « tirer son épingle du jeu », bien au contraire [8]. C’est rarement celui qui retire les marrons du feu qui les mange. Il serait dommage que l’idéal socialiste, arraché des mains du parti qui n’en n’a plus que le nom, ne finisse par y retourner pour disparaître définitivement, à cause de la « rage et la fureur » de celui qui veut le défendre. Et le meilleur moyen de s’en garantir, c’est la constitution d’un vrai parti, avec de nombreux militants et une organisation vraiment démocratique. Tout ce que n’est pas le Parti de Gauche actuellement.
[1] Depuis 1981 (voir les 110 propositions du candidat Mitterrand). 20 ans plus tard, Lionel Jospin avait cru bon de préciser que son programme n’était pas socialiste. Il n’a même pas franchi le premier tour de la présidentielle suivante.
[2] Marc Dolez
[4] Le Parti de Gauche participe à l’élaboration du "programme partagé", mais n’a pas de programme propre.
[5] Le socialiste Jean-Paul Huchon a même traité Mélenchon de "pire que Lepen"
[6] « Qu’ils s’en aillent tous ! Vite, la Révolution citoyenne » - Flammarion 143 pages – 10 euros.
[7] « Selon moi, la France du XXIe siècle doit avoir avec la Chine une coopération avancée. (…) Dans les relations internationales, les Chinois ne pratiquent pas l’impérialisme aveugle des Américains*. La Chine est une puissance pacifique. Il n’existe aucune base militaire chinoise dans le monde. Il n’y a pas un seul militaire chinois à l’étranger, en dehors des missions de l’ONU. (…) Que le régime chinois ne nous convienne pas est une chose. Que le capitalisme y fasse des ravages, de même. Mais que ce soit le prétexte pour laisser les seuls Etats-Unis s’accorder directement avec lui dans le cadre d’un G2 dorénavant très visible est une immense faute politique. »
Paragraphe « Faire une autre paix »
Etonnant de faire si peu de cas de la condition du peuple Chinois pour des raisons économiques. C’est curieusement un point de convergence avec l’UMP qui a carrément signé une convention de partenariat avec le Parti Communiste Chinois. UMP et PCC partis frères.
* Il y a actuellement 600 000 soldats Etats-Uniens répartis sur 735 bases militaires dans 130 pays sur les 5 continents.
[8] Quand on utilise l’expression “tirer les marrons du feu”, on signifie souvent que c’est celui qui entreprend qui en tire les bénéfices. Cette expression dit exactement le contraire, en fait.