Poésie : Monodies

"On voulait faire quelque chose d’original dans le fond et dans la forme."

Interview de Stéphane Branger et Marc-Albéric Lestage
mercredi 9 mai 2018 à 16:50, par Mercure Galant

Stéphane Branger et Marc-Albéric Lestage ne sont pas des inconnus sur l’Agitateur, qui suit leurs parcours respectifs depuis longtemps. Rencontre avec ces deux artistes rares pour évoquer leur dernier projet poétique, Monodies, qui poursuit sa tournée avec, à la clef, la sortie d’un deuxième disque sur ce projet. Bienvenue en poésie !

"On voulait faire quelque chose d'original dans le fond et dans la forme."

L’Agitateur : C’est bientôt la sortie d’un deuxième EP avec des poésies mises en musique extraites de votre spectacle Monodies. Pouvez-vous nous en préciser la date ?
Marc-Albéric Lestage : Il sort le 11 mai sous format numérique mais également en vinyle. Dans ce cas de figure, le processus de fabrication est plus long. Les enregistrements étaient terminés en décembre, on a envoyé les fichiers en janvier pour le pressage et on a reçu le disque en avril. Donc presque quatre mois se sont écoulés entre les premières écoutes sur des tests jusqu’à la fabrication de la pochette et de la galette. En général, il faut entre 6 à 8 semaines aux presseurs pour faire un disque.

L’Agitateur : Combien d’exemplaires ont été édités pour cette occasion ?
Marc-Albéric Lestage : Cent exemplaires pour ce vinyle.

L’Agitateur : Pourquoi ce choix du vinyle ?
Marc-Albéric Lestage : Au départ nous avons monté le spectacle Monodies à partir de nos textes. L’idée c’était de promouvoir nos recueils et nous ne voulions pas du tout faire de disque. Mais assez vite ça a été une demande du public qui voulait le complément musical. Donc le premier EP est sorti avec cinq morceaux représentatifs du spectacle. Pour le deuxième EP, les gens nous demandaient des morceaux qui n’étaient pas sur le premier. Et le format vinyle c’était un vieux rêve d’ado pour Stéphane et moi… Ce choix a un coût financier plus important, il fallait donc que ce soit court. Pour une petite édition limitée sur de la poésie, on avait pensé au 45 tours mais on s’est aperçu qu’il valait mieux faire un 25cm. Ce disque a donc le format des anciens 78 tours avec deux morceaux par face.

L’Agitateur : Pourquoi ce titre, Monodies ?
Stéphane Branger : La monodie, c’est un peu l’ancêtre de la polyphonie. Il s’agit d’une ou plusieurs voix qui chantent la même chose.
Marc-Albéric Lestage : Comme le spectacle était basé sur nos textes à peu près à part égale, on voulait proposer une voix poétique et littéraire mais avec un rappel à la musique. C’est une lecture poétique musicalisée. Monodies ça nous plaisait bien, car il y avait à la fois les aspects musicaux et littéraires qui étaient sous-tendus derrière.

L’Agitateur : Qui sont les autres collaborateur à cet EP ?
Marc-Albéric Lestage : Nous collaborons avec des amis de longue date comme Christophe Soulat, qui travaille au studio Not’Île à Vierzon. Il avait participé avec nous au spectacle « Connaissez-vous Mac-Nab ? » et il nous a aidés pour l’enregistrement et le mixage de l’album. La pochette de l’EP a été quant à elle réalisée par notre graphiste Jean-Philippe Zendagui, l’ancien chanteur guitariste du groupe Claysheep, auquel j’ai participé. Il a conçu les deux pochettes. La première était une photo retouchée. Pour la deuxième, il s’agit d’une création graphique. Il a inventé un paysage qui évoque un bord de mer.

L’Agitateur : Comment avez-vous conçu cette création ? Y-a-t-il eu avant tout une mise en avant des mots ou plutôt des plages spécifiques pour privilégier la musique ?
Stéphane Branger : C’est un peu les deux. Il y a l’accompagnement de la voix dans les textes. Et une musique acoustique, complétée parfois par des bruitages ou par des sons plus contemporains. Par exemple sur le texte « Des jours transparents » qui fait référence à mes souvenirs d’enfance, j’ai ajouté des sons avec une ambiance de bord de mer et des voix d’enfants enregistrés à Pornic tandis que Marc-Albéric a enrichi la composition musicale avec l’apport d’un piano jouet pour évoquer ce côté nostalgique de l’enfance avec une ritournelle. La musique pose l’ambiance avec les bruitages, avec le texte qui prend le relais, puis la musique qui revient en alternance. Un peu comme un va-et vient, le flux et le reflux des vagues
Marc-Albéric Lestage : Il faut préciser que pour cet EP, on a joué à plein la carte de la face A et de la face B. Les deux morceaux de la face A sont entièrement acoustiques alors que les deux morceaux de la face B sont entièrement électroniques. C’est un parti pris, un clin d’œil à notre jeunesse quand nous avions des cassettes. Nous avons voulu faire un travail de réalisation et d’arrangements sonores distinct.

L’Agitateur : D’où sont tirés les poèmes lus ?
Stéphane Branger : Le recueil « Jours hétéroclites », paru en 2015 est une compilation, une anthologie de certains de mes poèmes, réalisée pour Monodies. Ces textes étaient issus de deux projets littéraires qui ont fusionné après que j’en ai élagué une bonne partie pour constituer ce recueil, enrichi de quelques illustrations de Corinne Saint-Mleux . Dans la première partie, les poèmes ont tous le même format avec le même nombre de vers et un paragraphe en fin de texte alors que dans la deuxième partie, il s’agit de prose narrative… Tous les autres poèmes sont ceux de Marc-Albéric, parus dans ses recueils « Le perchoir à poules », « Gens d’étrange » et « Pacification ».

L’Agitateur : Comment en vient-on à écrire de la poésie ? Des auteurs vous ont-ils inspiré plus particulièrement ?
Stéphane Branger : Pour ma part, j’écris de la poésie depuis que je suis adolescent, de manière très naturelle. C’est comme ça, je ne l’explique pas ! Beaucoup de poètes m’ont inspiré en passant des surréalistes, aux américains de la Beat generation comme Kerouac, Ginsberg, … et tant d’autres !
Marc-Albéric Lestage : J’ai commencé par l’écriture des textes de chansons pour plusieurs groupes de rock auxquels j’ai contribué. La poésie à l’école ne me passionnait pas vraiment mais dans les années 90 j’ai découvert Pierre Reverdy, qui a vraiment bouleversé la vision que je pouvais avoir de la poésie. Ses textes écrits 70 ou 80 ans auparavant, me semblaient avoir été écrits la semaine d’avant ! La mise en page, l’absence de ponctuation et sa liberté rythmique m’ont fait découvrir un mode d’écriture que je ne connaissais pas. Cela m’a marqué de manière souterraine car j’ai pris quelques années avant de commencer à écrire, en 2004. Petit à petit je me suis pris au jeu. L’écriture, mais aussi la réalisation de recueils me plaisent. Contrairement à Stéphane qui a plutôt beaucoup publié en revues et a réalisé des livres d’artistes. Là dessus nous sommes un peu différents.

L’Agitateur : Marc-Albéric , pourquoi ce choix de petits formats de recueils ?
Marc-Albéric Lestage : Mes deux premiers recueils ont conçus par les mille univers à Bourges. Cela a constitué une étape déterminante dans mon parcours littéraire pour appréhender des formats qui sortent de l’ordinaire. On peut choisir son papier, sa police et son format… J’ai ensuite commencé à faire des salons et je me suis aperçu que les gens aiment bien les petits objets et sont attirés par la différence. D’autre part, au niveau de l’écriture et des textes poétiques, j’aime bien les formats courts en général et j’avais l’idée de faire des recueils qui tiennent dans la poche, qui se différencient par la couleur, qui attirent l’œil, que l’on a envie de prendre en main. Et puis après, advienne que pourra ! (rires) Ensuite, j’ai poursuivi les publications avec Christelle Fort et son atelier des jardins typographiques, basé à Diors dans l’Indre. Cette graphiste a créé un peu l’équivalent des mille univers où elle a d’ailleurs été initiée à la typographie. Nous nous entendons bien et elle a déjà réalisé mes trois derniers ouvrages.

L’Agitateur : Est-ce que vous estimez que votre poésie est exigeante ?
Stéphane Branger : Oui, j’ose espérer avoir retenu des critères de qualité et de formulation. Dans Monodies il y a deux types de textes en vers ou en prose, mais ce sont des choses assez narratives, ce qui n’est pas forcément le cas dans mon écriture globale.
Marc-Albéric Lestage : Quant à moi mes exigences sont doubles. Je donne une très grande importance au rythme et c’est probablement la touche du musicien. Mais j’essaie également de faire une recherche de vocabulaire assez riche. Dans mes premiers recueils j’avais tendance à jouer beaucoup avec la langue. En vieillissant et en progressant (j’espère) dans l’écriture je pense que je simplifie. Auparavant j’essayais de faire naître beaucoup d’images dans mes textes. Maintenant j’ai tendance à réduire. Je suis passé par l’écriture de haïkus, ce qui apprend à raccourcir ! (rires) Stéphane a une culture poétique française plus riche que la mienne. Moi je m’intéresse beaucoup plus à la poésie anglo-saxonne. Je ne pense pas que nos textes soient expérimentaux. Ils me paraissent relativement accessibles. Je lis plus de poètes américains et hongrois. Là aussi il y a des écoles, des chapelles, un peu trop cloisonnées malheureusement. Nous on se situe dans un juste milieu.
Stéphane Branger : On ne fait pas de la poésie classique. Elle n’est pas comptée, rimée, au sens traditionnel des choses. Ce n’est pas non plus de la poésie expérimentale et obscure ou hermétique. On se situe effectivement dans un juste milieu. L’idée c’est de rester compréhensible.

L’Agitateur : Voyez-vous une différence entre écrire une poésie ou la dire ?
Marc-Albéric Lestage : Pour moi, il y a une petite différence car je suis très attaché à la mise en page typographique. La plupart du temps j’ai une idée assez précise de la disposition des mots. L’idée c’est donc de réussir à reproduire cela oralement. Moi, je n’avais jamais fait de lecture avant. Il a fallu apprendre à poser sa voix. Et on a découvert aussi la mise en musique. Avec Monodies on a cherché ce côté expérimental avec ce qu’on avait sous la main, ou bien qu’on voulait essayer en terme de timbre, de rythmique et faire en sorte que les choses se mêlent harmonieusement.

L’Agitateur : Comment se déroule justement cette phase de composition ?
Marc-Albéric Lestage : L’idée de Monodies est née à l’été 2014. Quelques mois après la fin de la tournée de notre spectacle précédent « Connaissez-vous Mac-Nab ? », j’ai proposé à Stéphane de faire une lecture de nos textes avec de la musique. Stéphane a l’habitude de la création de paysages sonores, proches de la musique concrète. Moi j’avais envie de rejouer de la basse et puis j’avais commencé à étudier le kaval, c’était l’occasion de poursuivre. Ensuite le piano jouet, la boîte à rythmes et le synthétiseur se sont rajoutés. Mais on voulait surtout sortir des schémas classiques, sans guitare ou piano. Pas pour être originaux à tout prix mais pour voir les choses différemment. C’était intéressant car il fallait réussir à raccrocher ainsi les gens qui venaient au spectacle.
Stéphane Branger : Je pratique effectivement la musique électro-acoustique depuis pas mal d’années au conservatoire à Bourges. J’ai donc travaillé sur des sons que j’ai réutilisés sur des morceaux de Monodies, qu’on peut entendre dans le premier EP. On peut entendre des bruits de polystyrène, des boîtes de conserve qui tournent. Ces sons sont traités par ordinateur. Il y a de la prise de sons des ambiances de rue. Marc-Albéric est venu enrichir les arrangements avec la basse, la boîte à rythmes ou des sons de synthétiseur.
Marc-Albéric Lestage : Pour la musique nous avons procédé comme pour les textes, à parts égales. Stéphane avait des bases pour ses morceaux et j’ai ramené souvent des choses mélodiques. Comme ses titres sont plus longs et plus narratifs alors que les miens correspondent plutôt à des vignettes, cela permet de créer des variations d’ambiance et de styles dans le spectacle. Le liant restant la voix de Stéphane.

L’Agitateur : Ecrire de la poésie et la déclamer sur une musique intimiste voire minimaliste ce n’est pas choisir la voie la plus simple…
Stéphane Branger : Soyons clair, même s’il n’existe plus, ce que nous faisons n’est pas fait pour le top 50 ! (rires) C’est de la poésie et cela reste dans le domaine de la recherche. On voulait faire quelque chose d’original dans le fond et dans la forme. Quand on a créé le spectacle en mars 2015 à Henrichemont, c’était beaucoup plus expérimental, mais on perdait le public et surtout le sens du texte, qui reste à nos yeux un élément primordial.
Marc-Albéric Lestage : Nous avons des retours surprenants parfois. Bien sûr des gens viennent au spectacle parce qu’ils sont amateurs de poésie ou participent à des ateliers d’écriture, mais d’autres, en Bretagne par exemple, nous ont dit qu’ils avaient eu une révélation !
Stéphane Branger : Oui, j’ai le souvenir d’un homme d’une soixantaine d’années dans un café associatif à la Roche-Bernard qui nous a remercié à la fin du spectacle car il avait été vraiment touché et n’avait jamais rien entendu de tel dans sa vie, auparavant. La rencontre est donc possible, même auprès de gens qui ne sont pas a priori susceptibles de s’intéresser à la poésie. Cela est encourageant et gratifiant.

L’Agitateur : Généralement, vous jouez devant un auditoire de combien de personnes ?
Marc-Albéric Lestage : Le spectacle étant conçu pour être relativement intimiste, on essaie de jouer en acoustique devant une jauge idéale d’une trentaine de personnes afin que le public et nous-mêmes gardions une qualité d’écoute. Et puis les gens viennent souvent après le spectacle pour poser des questions sur le piano jouet ou le kaval, des instruments qui intriguent, ou encore sur les textes ou les recueils. Pour pouvoir préserver ces temps d’échange, il ne faut pas jouer devant trop de monde.
Stéphane Branger : Visuellement, tout reste très sobre. Il n’y a pas de décor, je lis et Marc-Albéric joue. Il se dégage surtout une ambiance. Parfois les gens ferment les yeux pour se concentrer sur ce qu’ils écoutent.

L’Agitateur : Combien de temps prévoyez-vous de tourner avec ce spectacle ?
Marc-Albéric Lestage : Cette année, on a débuté la tournée en avril. Il y a une dizaine de concerts déjà programmés, d’autres dates vont arriver qu’on pourra retrouver sur notre Tumblr . Nous nous occupons de ces démarches puisque nous sommes indépendants à tous les niveaux. Nous devrions le jouer encore jusqu’au printemps 2019. Cela va au-delà des espérances que nous avions au départ. Quand on arrêtera Monodies, on créera un événement pour marquer le coup… mais je n’en dis pas plus pour le moment !

L’Agitateur : Avez-vous d’autres projets plus personnels en préparation ?
Stéphane Branger : Un livre d’artistes avec le peintre Jean-Michel Marchetti dans la collection de la Fabrique Poïein, de Gérald Castéras, qui devrait sortir à l’automne.
Marc-Albéric Lestage : J’ai deux projets de recueils. L’un avec les jardins typographiques prévu pour 2019 et l’autre est un projet de recueil uniquement en anglais probablement pour 2020. Je fourmille également d’idées, de trames narratives pour de futurs romans ou nouvelles, car la littérature a pris une place grandissante dans ma vie. Je n’en oublie pas pour autant la musique et j’ai toujours mon projet solo Beltim avec un album que je dois terminer.


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commentaires
"On voulait faire quelque chose d’original dans le fond et dans la forme." - Mercure Galant - 3 juin 2018 à 08:20

Une belle émission de Gil Soulat sur Radio Résonance, avec pour invités Stéphane Branger et Marc-Albéric Lestage !