Bureau 21, la politesse, ce n’est pas fait pour les chiens
Il y a des gens qui trouvent que c’est cool de gagner de l’argent « à ne rien faire » C’est peut être cool lorsque l’on est rentier, propriétaire louant ses biens ou actionnaire. Pas quand on est au chômage. Parce que rentrer dans les méandres de l’administration de l’Assedic et de l’ANPE, c’est quand même découvrir un monde déshumanisé.
Ultime étape dans le parcours du combattant. Après mon premier contact avec les services de l’Assédic, je me sens beaucoup moins enthousiaste et serein. Je me creuse la tête afin d’avoir des trucs un peu marrants à dire pour détendre l’atmosphère et décoincer les employés à qui je vais être confronté. Je songe à me présenter sous le nom de Ben Laden, je révise ma blague favorite sur l’histoire de la fille qui dit « allô maman ? », je répète quelques grimaces devant la glace, je prends deux comprimés contre le mal de tête, je mets mon slip en zinc, et c’est parti.
Je me présente avec quasiment vingt minutes d’avance. Et là, surprise : pas de robot vaguement humain. Une vraie personne courtoise m’accueille et me considère comme un être humain ! Aurais-je été démasqué ? Est-ce que les salariés de l’Assédic lisent L’Agitateur et me font un traitement spécial ? Peu probable, car il manque quand même les jeunes filles dévouées en tenue Hawaïenne. Il m’est demandé de m’asseoir dans un espace de transit avant que l’on m’appelle. J’y rencontre deux connaissances (c’est dingue le nombre de chômeurs que je connais !), et j’attend. J’avais rendez-vous à 14h20. A 14h21, je jubile : ça y est, je suis victime d’un retard honteux alors qu’il m’était demandé d’arriver à l’heure ! Près de dix minutes plus tard, la même vraie personne courtoise m’invite à entrer dans une salle un peu reculée, en compagnie d’une jeune femme. Dans cette salle, il y a un téléviseur. Alors là, je me demande si je ne suis pas victime d’un savoureux coup monté. J’imagine que l’on va me projeter un stimulant film pornographique, que je vais me jeter sur la jeune femme, que tout cela sera filmé et mis en ligne sur internet. Ah, nous, les chômeurs, nous sommes de la main d’œuvre peu onéreuse, exploités sexuellement, ah oui c’est bon ! C’est bon !
Euh... en fait le monsieur me dit que l’on va regarder un documentaire sur l’Assédic du Centre. Ça tombe bien, je n’avais pas de préservatif. J’observe que l’Assédic est quelque peu avare en personnel. Le monsieur est au four et au moulin. Visiblement, le petit film qui nous est présenté est destiné à remplacer un être humain qui serait chargé de nous expliquer de vive voix le fonctionnement de cette vénérable institution et de répondre à nos questions. Vous me direz, que c’est partout pareil. Et c’est malheureusement vrai. Je constate qu’à l’instar de ce que j’ai vécu lors de mon dernier emploi, ici, le choix est clairement axé sur la qualité des installations au détriment du recrutement du personnel. Bon, le film est un peu naze, genre reportage de France 3 Régions. Je capte distraitement un passage où il est dit que l’ANPE peut me proposer une formation en rapport « avec les métiers qui recrutent »... et pas forcément en rapport avec mes diplômes, mon parcours professionnel et mes aspirations personnelles. Nuance. Bah vous allez voir que dans six mois je vais me retrouver boucher-charcutier ou aide ménagère pour les personnes âgées !
Ensuite, on me donne un bout de papier où il est marqué : 506. C’est là que je réalise que les cadrans électroniques n’indiquaient pas l’heure, mais un numéro de passage. Il faut dire qu’en arrivant, j’avais observé un cadran où il était affiché « 305 ». Je croyais que cela signifiait 3h05. Et comme il était 14h05, je me suis dis « Ah, les nuls, ils ne sont même pas capables de mettre à jour l’horloge, et en plus ils affichent l’heure à l’anglaise ! C’est le fan club de Margaret Thatcher ici ! ». Direction le premier étage. Je regarde le faux plafond qui laisse penser qu’il y a eu une panne de la climatisation. Je prends quelques photos en imaginant que je suis James Bande 0070cm, mais qu’est-ce que je m’emmerde, il n’y a pas âme qui vive ici. Toujours est-il qu’après quelques minutes d’attente, je suis reçu dans un beau bureau, le numéro 21. Poliment, je dis bonjour au monsieur en lui tendant la main. Celui-ci, après un petit moment d’hésitation très perceptible, me tend la sienne (sa main ! pas autre chose hein !). Je suis fier de moi : je viens d’apprendre la politesse et la courtoisie à un robot de l’Assédic ! Je devrais peut-être me proposer pour donner des cours de respect d’autrui et de courtoisie.
Mon interlocuteur bute quelques minutes sur la fiche Assédic de mon employeur qui a pris soin de préciser - peut-être à titre de vengeance - « fin de contrat CDD à la demande du salarié ». Je suis obligé d’expliquer que je suis allé au bout de mon contrat mais que j’ai souhaité que celui-ci ne soit pas renouvelé. Et que de toutes façons, il ne m’avait rien été proposé de précis. Je n’étais pas disposé à jouer le jeu de mon employeur qui, comme avec d’autres avant moi, aurait appliqué la stratégie qui consiste à attendre le dernier moment pour me proposer un contrat médiocre que j’aurais été obligé d’accepter, le couteau sous la gorge, sans délai de réflexion. Après tout ce que j’avais fait, il était hors de question que j’aille mendier un nouveau contrat. Considérant avoir largement fait mes preuves, c’était à mon employeur de me prouver qu’il avait encore besoin de moi, pas le contraire. Et comme il n’a pas su le faire, eh bien : « au revoir ». Je sais monsieur, je suis une sorte de héros kamikaze dans le pays aux trois millions de chômeurs...
Les dernières formalités administratives se règlent finalement très rapidement et l’on me remet un questionnaire pour préparer mon entretien avec un conseiller de l’ANPE. Il m’est notamment demandé d’inscrire quelles sont mes qualités. Bah, y’a rien à dire, je suis génial, c’est tout. Quoique je me demande s’il est nécessaire que je précise que je suis doté d’une troisième jambe de quarante centimètres de long lorsqu’elle est pliée en deux. Ainsi s’achève ma trilogie. Conclusion ? Sur un document publicitaire que l’on m’a remis, il est écrit le slogan suivant : « Pour vous, nous sommes des partenaires ». C’est donc là-dessus que je dois juger les services de l’Assédic et de l’ANPE. Je dois dire que je n’ai pas vraiment eu l’impression d’avoir été traité comme un partenaire. Tout juste comme un dossier. Pas plus que je n’ai la conviction que je pourrais considérer l’Assédic et l’ANPE comme des partenaires fiables. On nous oblige à entrer dans certains rouages, à nous conformer sans réflexion à des pratiques en vigueur. Mais je ne crois pas que l’ANPE sera capable de m’aider en quoique ce soit. Tout ça manque de dynamisme et d’enthousiasme. On me file le fric qu’on m’a ponctionné en partie sur mes fiches de paye et mes déclarations d’impôts et en échange, on me demande de rendre des comptes. C’est une relation infantilisante. Pas un partenariat.
Bon alors maintenant, si vous avez un boulot intéressant et bien payé à me proposer... pardon ? Ce n’est pas possible d’avoir les deux ? Ah, je sais, je suis un dangereux idéaliste. Mais j’ai la conviction que l’on va bien me soigner et bien me formater dans la garderie des fainéants...
– Un espion à l’ANPE - Episode 1
– Un espion à l’ANPE - Episode 2
– Un espion à l’ANPE - Episode 3
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